Allumer un feu avec un fusil (ou briquet) à silex

Faire du feu est une activité banale au XIVe siècle ! On estime en effet que la domestication du feu remonte à 450.000 ans avant J.C. Pour cela il suffit de battre son « foisil » et le tour est joué ! Cependant, pour nous, gens du XXIe siècle, cet acte quotidien au Moyen Age est bien souvent une technique méconnue et que l’on se doit d’apprendre et de montrer lorsque l’on fait de la reconstitution historique.

La technique

La production du feu nécessite un morceau de marcassite (bisulfure de fer), un éclat de silex et un fragment d’amadou.
A partir de l’âge du fer, la marcassite est remplacée par de petits objets en acier : les fusils qui, percutés sur le tranchant d’un silex, produisent des étincelles qui mettent le feu à l’amadou.
En effet, lors de la percussion du fusil sur le silex de minuscules morceaux d’acier sont brutalement arrachés au briquet. Sous l’effet du choc ils produisent des étincelles de couleur jaune.

Pour que l’amadou prenne rapidement feu il est impératif de tenir le silex et l’amadou dans la main à quelques millimètres l’un de l’autre.
Une fois que l’amadou se consume, il faut rapidement le mettre en contact avec de la fibre de lin mélangée à de la paille. Il ne reste plus qu’à souffler énergiquement sur ces éléments pour que des flammes apparaissent.

Même si en apparence cette technique semble simple, elle demande un peu d’entraînement. Les premiers essais sont souvent laborieux et il n’est pas rare que le premier succès se fasse attendre un peu… (10 minutes en ce qui me concerne). Alors, avant de présenter cette activité en public il est souhaitable de s’exercer jusqu’à atteindre une maîtrise correcte.

Le fusil ou briquet

C’est tout simplement un morceau d’acier très carburé (une lime par exemple) sur lequel on pratique une trempe très dure. Généralement de 7 à 8 cm de long, pour 4 à 5 cm de large et 5 à 6 mm d’épaisseur, il est souvent en forme de B, afin de permettre une bonne prise en main lors de la percussion.

Le silex

C’est un simple éclat de silex qui peut être facilement pris en main. Il doit posséder des arêtes vives. Pour se protéger des coupures dues aux arêtes, il est possible de mettre une pièce de cuir au fond de la main qui tient l’éclat.

L’amadou

L’amadou est une matière cotonneuse que l’on trouve sous la cuticule dure d’un champignon nommé l’amadouvier (ungulina fomentaria). Ce champignon, souvent parasite, en forme de langue pousse sur de nombreux arbres, cependant le hêtre reste son hôte de prédilection.

L’amadou reste la matière préférentiellement utilisée pour être embrasée au contact des étincelles d’un fusil à silex. Cependant il est utile de le traiter pour augmenter l’efficacité de cette technique d’allumage de feu. Différentes méthodes furent utilisées pour améliorer l’amadou et le traitement au salpêtre était au XIVe siècle couramment employé en Europe.

Voici une manière de préparer l’amadou tirée d’un ouvrage de la fin du XIVe siècle :
Le Mesnagier de Paris, Traité de morale et d’économie domestique, Composé Vers 1393, par un bourgeois parisien. Texte edité par Georgina E. Brereton et Janet M. Ferrier, traduction et notes par Karin Ueltschi, collection Lettres gothiques, édition Le livre de poche.

Se tu veulx faire bonne esche pour alumer du feu au foisil, pren de l’escume de noyer qui sont surannees, et puis la met en ung pot plain de lessive bien forte, toute entiere, ou par pieces du large de deux doiz, lequel que tu vouldras, et la fay tousjours boulir par l’espace de deux jours et une nuyt du moins. Et se tu n’as de lessive, si prens de bonnes cendres et metz avec de l’eaue et fais comme charree. Puis metz ton escume boulir dedens par l’espace dessusdit, et la fourniz tousjours tant comme elle bouldra. Se tu la faiz boulir en laissive, fourniz loi de laissive. Se tu la boulz en la charree, si la fourniz d’eaue. Et toutesvoyes en quoy que tu le boulles, se tu pouoies finer de pissat pour la fournir, elle en vauldroit mieulx. Et quant elle sera ainsi boulue, si la purez, et puis la lavez en belle eaue necte pour la ressincer. Puis la mect au soulail seicher, ou en la cheminee loing du feu qu’elle ne s’arde ; car il la couvient seicher atrempeement et a loisir. Et quant elle sera seiche et on s’en vouldra aidier, si la fault batre d’un maillet ou d’un baston, tant quelle deviengne aussi comme espurge. Et quant on veult alumer du feu, si en fault prendre aussi comme le gros d’un poiz et mectre sur son caillou, et on a tantost du feu. [...] la doit l’en garder nectement et seichement.

Traduction :

Pour préparer une bonne amorce pour allumer du feu avec une pierre à fusil, il te faut de l’écume de noyer(1) de plus d’un an ; la mettre dans un pot de lessive bien forte, soit entière soit par morceaux de deux doigts de largeur, comme tu voudras, puis faire bouillir pendant deux jours et une nuit au moins. Si tu n’as pas de lessive, procure-toi de bonnes cendres et en ajoutant de l’eau fais-en comme une charrée(2). Mets-y ton écume à bouillir le temps qu’on vient d’indiquer et alimente-la tant que durera l’ébullition : si tu la fais bouillir dans la lessive, ajoute de la lessive ; et si c’est dans la charrée, ajoute de l’eau. Cependant, dans les deux cas, si tu pouvais y ajouter pour terminer du pissat, elle n’en serait que meilleure. Une fois ainsi bouillie, égouttez-la et lavez-la dans une belle eau propre afin de la rincer. Puis la mettre à sécher au soleil, ou dans la cheminée loin du feu pour qu’elle ne brûle pas. Il faut en effet la faire sécher doucement, en prenant tout son temps. Une fois sèche, si on veut s’en servir, il faut la battre avec un maillet ou un bâton jusqu’à ce qu’elle prenne un aspect semblable à une éponge. Lorsqu’on veut allumer du feu, il faut en prendre la quantité équivalente à un gros pois, la poser sur le briquet et aussitôt l’étincelle jaillit. [...] il faut la conserver au propre et au sec.

  1. écorce ou peut-être fleurs… Plus vraisemblablement de l’amadou (F. Souday)
  2. mélange épais d’eau et de cendres qui reste au fond du cuvier quand on a coulé la lessive

A cela on peut ajouter qu’il est préférable de récolter l’amadouvier au printemps et que la préparation doit se faire quand il est encore frais. Il est possible de faire le traitement avec une solution de cendres ou de suint extrait de la laine de mouton.

A défaut d’amadou vous pouvez utiliser un morceau de tissu de coton. Mettez-le dans une boite en fer fermée avec un couvercle et posez le tout dans un feu pour que le coton carbonise. Prenez garde à ne pas le faire complètement brûler, pour cela éteignez-le quand il est devenu tout noir.

Cette technique simple et très ancienne pour allumer un feu avec un fusil à silex a été utilisée en France jusqu’au début du XXe siècle. Cependant, il n’aura fallu que quelques décennies pour quelle tombe presque dans l’oublie.
Elle constitue aujourd’hui une activité ludique et divertissante que l’on peut très facilement faire redécouvrir au public lors des manifestations à caractères historique.
Alors prenez courage et essayez, vous aussi…

François Souday

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4 réponses à Allumer un feu avec un fusil (ou briquet) à silex

  1. Dupuy dit :

    et vous, personellement, comment faites vous l’amadou ? J’ai trouvé beaucoup de recettes et de variantes, mais j’aimerais en trouver une pas trop compliquée… et précise aussi :)

  2. admin dit :

    Il existe différentes méthodes effectivement, pour ma part j’utilise l’amadou (le champignon) nature et cela fonctionne. La méthode la plus efficace que j’ai vu est l’utilisation de lin « carbonisé » : Le lin est mis dans une boite et brulé au feu, le résultat est très inflammable.

  3. Stéphane dit :

    Pour la méthode de préparation de l’amadou, celle du Ménagier de Paris est la seule que l’on ait pour la période médiévale. Elle marche d’ailleurs très bien, c’est celle que nous utilisons (même si ce n’est pas la peine de faire bouillir, tremper suffit).
    Concernant la méthode du charbon de tissu, ce n’est pas une méthode historique pour le moyen âge pour l’instant, je n’ai pas de mention avant le 18e s.

    D’ailleurs, avez vous des sources qui vous permettent d’affirmer :
    « Une fois que l’amadou se consume, il faut rapidement le mettre en contact avec de la fibre de lin mélangée à de la paille. Il ne reste plus qu’à souffler énergiquement sur ces éléments pour que des flammes apparaissent. » ?
    Pour le moyen âge, je n’ai aucune mention de ce type de méthode d’obtention d’une flamme, méthode qui est plutôt préhistorique ou ethnographique à mes yeux.
    L’utilisation des allumettes soufrées est la seule source historique d’obtention d’une flamme pour le moyen âge.

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